L'enfant et le roi

Le roi se promenait en ses jardins, jetant par-ci, par-là un regard atone et indifférent aux beautés qui parsemaient son royal chemin. Cette marche de santé lui avait été recommandée par son médecin pour son souffle et son embonpoint et c'est bien la seule raison pour laquelle en ce doux après-midi d'été, il allait ainsi à travers les allées de petits cailloux entourant des boisés verdoyants agrémentés de milliers de bosquets de fleurs resplendissantes. Les couleurs étaient éclatantes, joyeuses, les senteurs se mêlaient dans un agréable parfum enivrant. Les oiseaux jouaient une joyeuse mélodie sur les notes du bonheur. Les arbres balançaient doucement leurs feuilles sous le souffle d'une brise légère.

 

Mais le roi ne prêtait aucune attention à ce spectacle sans intérêt. Il pensait au lendemain où un bal serait donné en son immense palais. Un bal en son honneur évidemment, comment pourrait-il en être autrement? Mais finalement, cela aussi l'ennuyait. Ce bal ne serait rien d'autre qu'une répétition de ceux qui avaient déjà eu lieu avant. Les mêmes personnes y seraient présentes et les mêmes personnes lui feraient les mille et une révérences, les mille et un compliments qui plaisent à sa royale personne.

Il entendit un son, un léger sifflement. Il soupira, excédé. Qui donc osait déranger ses royales pensées?

 

Il s'approcha de l'endroit d'où venait le son et vit un jeune garçon, agenouillé, occupé à tailler un rosier immense et dont les fleurs splendides,  d'un rouge écarlate, diffusaient un parfum envoûtant. Ce faisant, l'enfant, tout à sa tâche, sifflotait joyeusement une douce mélodie.

Le roi s'immobilisa et le regarda un instant. L'enfant sentit sa présence et se retourna. Un sourire aux lèvres, il lança gaiement:

- Bonjour! Elles sont belles, n'est-ce pas?

Le roi eut un sursaut:

- Qui diable es-tu, petit impertinent, pour t'adresser à moi de cette façon?

L'enfant se mit debout et répondit:

- Je suis Henayoum, monsieur!

- Monsieur!!! Sache, petit vaurien, que je suis le Roi!! et au roi on n'adresse pas la parole avant qu'il n'en ait donné la permission et on ne l'appelle jamais monsieur mais Votre Majesté!!!

Henayoum, surpris par l'agressivité de cet homme, lui dit:

- Je suis désolé, monsieur le Roi, je voulais seulement vous saluer et vous montrer ces belles roses en fleur. Vous savez...

- Mais qui est-il, cet avorton? l'interrompit le roi en regardant son intendant, gêné et rouge de honte.

Celui-ci balbutia, en inclinant la tête.

- Je suis profondément désolé, Votre Majesté. Ce vaurien a été engagé la semaine passée par votre maître jardinier et il travaille à la restauration des arbustes et des fleurs qui ont subi de grands dommages suites aux averses précédentes.

Le roi, excédé, fit un geste de la main signifiant qu'il n'en avait cure.

- Qu'on le fasse fouetter! et qu'on le renvoie à la boue d'où il vient! Et vous direz à mon maître jardinier que je veux le voir ce soir sans faute!!

Le roi s'apprêtait à faire demi-tour quand Henayoum l'interpella:

- Monsieur le Roi, Votre Majesté! Je n'ai rien fait de mal! Pourquoi êtes-vous donc si fâché?

Le roi, interloqué par tant d'audace s'immobilisa, se retourna et le regarda. L'enfant le fixait de son regard profond avec une lueur d'interrogation surprise dans ses yeux calmes. La tête droite, il attendait une réponse à sa question.

- Et tu oses en plus rétorquer?!! C'est le cachot que tu veux?!! C'est la pendaison?!! Soit!!! Qu'on le fouette! Qu'on le descende au cachot noir pour huit jours et qu'on le pende par la suite!!!

- Pourquoi? demanda Henayoum, surpris par tant de violence. Qu'ai-je donc tant fait de mal, monsieur le Roi Votre Majesté, pour vous mettre en de tels états?? Vos roses sont resplendissantes, vos arbres sont dans une santé de fer qui les fera vivre mille ans, votre herbe verdoie, nourrie par le travail incessant des vers de terre, vos....

- Des vers de terre!!!!!!! cria le roi, hors de lui. Des vers de terre!!! Il manquait de souffle, il était empourpré, fou de rage, il gesticulait de ses bras courts et gros. Son regard était rempli de dégoût.

Henayoum lui dit doucement:

- Monsieur le Roi Votre Majesté, ils ne sont là que pour le bien de la terre, ils...

- Ça suffit!!! hurla le roi. Qu'on écrase ce ver!! Qu'on le pende!! Qu'on l'enferme!! Qu'on le brûle!!

L'intendant, au plus mal, dit à un de ses subalternes d'aller chercher la garde.

Henayoum regarda le roi avec pitié.

- Monsieur le Roi Votre Majesté, j'ai beaucoup de peine pour vous car si ces petits êtres, qui ne sont là que pour le bien de la terre, vous mettent dans un tel état, c'est que votre esprit doit être bien tourmenté. Si vous ne regardez une fleur que lorsque elle est à son plein épanouissement, sans voir le petit bouton qui annonce sa naissance ni les pétales fanées qui annoncent son départ, c'est que votre coeur doit être bien limité. Si vous ne voulez dans les arbres autour de vous que les plus forts et les beaux de toutes les espèces et si vous ne voulez, alentour de vous qu'une terre riche de verdure coupée précisément, si vous ne désirez qu'une herbe verte à regarder sans jamais pouvoir la toucher et vous rouler dedans, c'est que votre âme est loin de sa maison.

- Vas-tu enfin te taire, avorton???!!!

La garde arriva en courant et encercla l'enfant le prenant par les bras. Celui-ci n'opposa aucune résistance mais continua à fixer le regard du roi de son profond regard interrogateur.

Le roi s'apprêtait à faire demi-tour et à laisser ce diablotin aux bons soins de sa garde quand celui-ci l'interpella une autre fois:

- Je n'ai pas peur du fouet, monsieur le Roi Votre Majesté! Je n'ai pas peur du cachot, non plus! ni de la corde qui me pendra! Je n'ai jamais eu peur d'affronter la pluie et les orages qui grondent! Je n'ai jamais eu peur de la nuit qui tombe et de ses ténèbres ensorcelantes! Mais, vous, monsieur le Roi Votre Majesté, pourquoi avez-vous si peur?

Le roi resta immobile quelques instants. Il décida de donner une bonne leçon à ce petit impertinent. Il ordonna à sa garde de le relâcher et leur fit signe de s'éloigner. Il fit de même avec son intendant et ses subalternes.

- Mais, Votre Majesté... commença l'intendant. D'un geste brusque, le roi lui ordonna de se taire et de s'éloigner.

- Très bien, Votre Majesté. Qu'il en soit fait selon vos ordres mais je ne serai pas loin, il suffira d'un geste de votre part pour que j'intervienne.

 

Tout le monde s'éloigna. L'enfant et le roi étaient seuls. L'enfant avait toujours ce regard interrogateur envers les réponses qu'il attendait. Le roi le regarda un instant sans rien dire et lui demanda calmement:

- Tu sais que je peux t'écraser à tout instant, tel un vulgaire moustique, n'est-ce-pas?

- Je l'ai bien vu! rétorqua l'enfant mais pourquoi feriez-vous ça?

- Parce que tu n'es qu'un minable avorton, un petit rien du tout et que je suis le Roi!

- Ah! répondit Henayoum, surpris. C'est la seule raison? c'est seulement pour ça que vous voudriez me voir disparaître?

- J'en ai le plein pouvoir, petit minable! Et je peux faire la même chose pour n'importe qui m'importune ou se met en travers de moi!

- Ah! redit Henayoum. Mais, monsieur le Roi Votre Majesté, en quoi vous ai-je importuné? Quand me suis-je mis en travers de votre chemin, à part de ne pas avoir respecté quelques règles que vous seul connaissez et imposez?

- Tu recommences, avorton?!! Tu veux vraiment le cachot et la pendaison?

- Non! Je vous ai seulement salué et j'ai souhaité vous montrer les roses qui étaient à leur plus bel effet mais vous avez seulement souligné le fait que je vous ai salué et que je n'ai pas respecté le protocole que vous avez établi et, si je dois mourir à cause de ses simples actes, je voudrais savoir pourquoi?

- Pourquoi?!! mais parce que tu n'es rien et que je suis le Roi! s'exclama le roi.

- C'est la seule raison? s'étonna Henayoum.

- Bien sûr!! rétorqua le roi, pourquoi en existerait-il une autre?!

Henayoum soupira, secoua la tête.

- Monsieur le Roi Votre Majesté, dit-il d'une voix douce. Pensez-vous vraiment être supérieur à moi parce que vous êtes le roi? Non! Non! Attendez! reprit Henayoum alors que le roi, courroucé, se raidissait et s'apprêtait à faire un signe à sa garde proche. Je ne veux aucunement vous offenser, monsieur le Roi Votre Majesté! Mais dites-moi, seulement, lorsque vous portez une coupe d'eau pour boire, vos lèvres ne s'ouvrent-elles pas? lorsque vous portez de la nourriture à votre bouche, ne s'ouvrent-elles pas aussi? Lorsque vous avez sommeil, vos yeux ne se ferment-ils pas naturellement? Lorsque votre coeur est heureux, votre sourire ne naît-il pas spontanément sur vos lèvres et votre joie n'enivre-t-elle pas votre coeur également? Et lorsque vous êtes triste, vos larmes ne viennent-elles pas spontanément évacuer cette source de chagrin? Votre esprit est-il confus parfois de ne pas savoir quel chemin prendre ou dans quelle voie se diriger? Votre corps, parfois, ne ressent-il pas une sensation de froid et le besoin de se réchauffer? Ou ne ressent-il pas aussi une sensation de chaleur et le besoin de se rafraîchir? Monsieur le Roi Votre Majesté, croyez sincèrement que je ne veux en aucun cas offenser ce que vous pensez en vous être supérieur à moi, mais ne ressentez-vous pas quelquefois l'angoisse de mourir ou plutôt la tristesse de ne plus être en vie?

Henayoum se tut quelques instants. Le regard du roi était perdu dans ses pensées. Il avait perdu sa colère et semblait réfléchir aux mots de l'enfant.

Lorsque son regard se posa sur lui, il  semblait apaisé et en même temps légèrement angoissé.

- Tu as raison sur biens des points, petit impertinent! Et seulement par les mots que tu viens de dire, je pourrais te faire condamner à mort de la plus cruelle des façons... Mais en même temps, je sais que ce que tu viens de dire est juste et vrai. Et c'est à mon tour de te poser une question. Comment fais-tu pour défier avec tant d'insolence cette crainte de la mort prochaine qui t'attend?

- Vous ne me ferez pas tuer monsieur le Roi Votre Majesté! lança Henayoum avec une assurance inébranlable. Vous ne le ferez pas car je peux apporter beaucoup de réponses à votre question.

 

Le roi le regarda longuement et finit par faire naître un sourire sincère et heureux sur ses lèvres. Pour la première fois de sa vie, le roi sentit en lui son être s'ouvrir à la joie et cela lui fit du bien. Pour la première fois, il sentit en son coeur un sentiment de bonheur, une envie de savoir et de découvertes. Pour la première fois, il sentit une joie inconnue et un besoin de liberté.

 

À partir de ce moment, l'enfant et le roi devinrent amis. L'enfant montra au roi les pouvoirs de la Nature et le roi commença à ouvrir son coeur à la beauté de la vie. Toute simple et si belle. Il en apprit toutes les richesses, en savoura tous les parfums, en explora toutes les découvertes.

 

Un jour l'enfant arriva au palais en courant et s'exclama tout excité

- Venez voir, monsieur le Roi Votre Majesté!!!

Celui-ci le suivit et vit dans un endroit précis de ses jardins une petite branche, encore toute fragile, sur laquelle venait de naître quelques pousses d'un joli vert tendre.

Henayoum, le regard brillant de joie, lui dit:

- Voilà! Monsieur le Roi Votre Majesté, votre premier arbre! Celui que vous avez planté de vos simples mains est en train de prendre vie et de grandir!

Le roi, tout ému, se pencha vers les jeunes feuilles, les caressa doucement, plein d'amour pour leur jeune vie. Il regarda Henayoum, d'un regard heureux.

- Merci, mon enfant! Tu as su redonner à ma vie un bonheur qui lui manquait grandement.

Henayoum sourit et l'enlaça avec amour.

- Ce n'est pas moi, vous savez, c'est la Nature qui donne tout ça!

 

Du plus grand arbre au plus petit ver de terre...

 


 

 

 

 



22/06/2014
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